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Le grand débat doit être l’occasion de revenir sur les 80 km/h

Par Vincent Descoeur, Député du Cantal

Comme de nombreux élus locaux et de parlementaires, je n’ai eu de cesse de dénoncer la décision du Premier ministre de réduire sans aucune concertation la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur le réseau secondaire.

Si on ne peut que souscrire à l’objectif d’amélioration de la sécurité routière, il n’en demeure pas moins que cette mesure présente trop d’inconvénients et que ses effets seront en réalité très difficiles à évaluer. C’est le type même de décisions, objets aujourd’hui de la contestation, qui alimentent le sentiment de relégation de toute une frange de la population, en l’occurrence celle éloignée des autoroutes et des grandes voies de communication, qui a la désagréable impression de subir des décisions technocratiques prises par des élites indifférentes à leur quotidien.

Les six premiers mois confirment que la réduction de vitesse est extrêmement contraignante pour les habitants et acteurs économiques des territoires ruraux. Comme nous le redoutions, les temps de trajet ont augmenté, ce qui s’est traduit par des coûts supplémentaires pour les entreprises et une forte augmentation du nombre de procès-verbaux. D’autre part, rien ne prouve que l’automobiliste soit plus en sécurité : on constate en effet que des convois lents se forment derrière des véhicules qui, par peur de l’infraction, roulent nettement en deçà de la vitesse autorisée, poussés à la roue par des poids lourds. Les distances de sécurité ne sont plus respectées et on assiste à une multiplication des dépassements dangereux.

Cette mesure est d’autant plus mal acceptée qu’elle s’applique de manière uniforme et sans discernement, sans tenir compte des caractéristiques des axes routiers. L’exaspération et la colère des usagers se mesurent malheureusement au nombre important de radars dégradés ces derniers mois : dans le département du Cantal par exemple, sur les 15 radars existants, un seul fonctionnait encore en fin d’année. C’est du jamais vu et, avec cette mesure, alors que la sécurité routière était un sujet de préoccupation partagée, le Gouvernement a réussi l’exploit de briser cette adhésion et de braquer les Français, qui considèrent aujourd’hui les radars comme des « pompes à fric » et non plus comme des éléments visant à améliorer leur sécurité sur la route.

Les incidences de cette mesure en matière d’aménagement du territoire ont été totalement ignorées. Elle contribue à creuser un peu plus la fracture territoriale au détriment des zones rurales et de montagne - mais pas seulement - qui se voient ainsi condamnées au ralentissement alors que d’autres continuent à bénéficier des améliorations des infrastructures de transport qui, toutes sans exception, visent à diminuer les temps de parcours. Gain de temps et compétitivité pour les uns, perte de temps et d’attractivité pour les autres ! Il faut comprendre à quel point c’est humiliant pour les ruraux, qui n’ont d’autre choix que d’utiliser leur véhicule pour se déplacer, d’être ainsi maltraités. A un tel point que ces 80 km/h peuvent sans aucun doute être considérées comme le détonateur de la crise des gilets jaunes, finalement déclenchée par la hausse des taxes sur les carburants qui impacte elle aussi la mobilité des habitants des zones rurales et périphériques.

Sur ce sujet comme sur d’autres, le Gouvernement a refusé d’entendre les élus de terrain, de même qu’il a écarté d’un revers de main la proposition de loi que j’avais déposée au nom du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale et qui visait à laisser la possibilité à ceux qui connaissent le mieux le terrain, à savoir les préfets pour les routes nationales et les présidents des conseils départementaux pour les routes départementales, d’adapter la vitesse maximale autorisée en la maintenant à 90 km/h lorsque les caractéristiques de la route le permettent.

Le grand débat voulu par le Président de la République doit être l’occasion de donner la parole aux Français pour qu’ils s’expriment, au-delà des sujets déjà identifiés, sur cette mesure qu’ils n’ont pas acceptée mais aussi, plus largement, sur les questions liées à la mobilité, qu’il s’agisse des infrastructures, des moyens de transport ou des prix de l’énergie. Plus globalement, ces questions renvoient à celles de la fracture territoriale et du sentiment d’abandon ressenti par une France périphérique qui doit profiter de ce débat pour se faire entendre. 

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